Le jour où… j’ai annoncé à mon mec
que j’arrêtais de m’épiler

Épilation : histoire de poils

Tout a commencé mardi dernier, lorsque j’ai annoncé à mon mec que j’arrêtais de m’épiler. « De t’épiler quoi ? », il a dit. « Tout », j’ai répondu. Tandis que l’homme blêmit, je développe mon argumentaire: outil d’oppression de la femme d’une société misogyne, soumission aux diktats de la beauté. Il est d’accord. Mais bon, quand même chaton…

Il faut savoir que mon mec est l’un des rares hommes féministes sur cette planète. Élevé par une militante libertaire de gauche aux belles heures de l’émancipation de la femme (et des pubis touffus) et par un père qui assistait aux assemblées du MLF (et s’en faisait virer). Mais, mardi dernier, j’ai compris que son féminisme avait des limites, celles de la longueur de mes poils. Dur.

La discussion avait été amorcée quelques jours plus tôt, devant la superbe photo de Lucien Clergue, « Nu de la forêt ». Entre les ombres d’un branchage, un sexe féminin sans artifice derrière une (très) épaisse toison frisée. Face à mon enthousiasme, il a juste dit « J’aime pas. Ça me rappelle ma mère ». Radical.

À sa décharge, je reconnais ma responsabilité. Voilà plusieurs années que j’ai opté pour l’épilation intégrale, pas même un ticket de métro, rien, nada. Pour de mauvaises raisons hygiénistes je suppose. « Moi, je préfère comme ça ». Et voilà, paf : bien fait pour mon cul. Et de grommeler : « Et puis elle vient d’où cette nouvelle lubie ? » (ce vaillant homme a déjà eu affaire à nombre d’autres expérimentations parfois hasardeuses, allant des jus bien-être épinard-kale-graines-de-chia, cosmétiques DIY – « C’est normal ces plaques rouges ? – et autres expériences bien-être – qui ne tinrent pas toujours leurs promesses – bref.)

SLOW FASHION

Plus durable, plus éthique, plus responsable… mais hautement désirable. La mode se met au vert.

LA DICTATURE DE L’ÉPILATION

Nous sommes 14% à nous épiler intégralement le pubis, tous âges confondus. La proportion atteint même 45% chez les moins de 25 ans (Ifop).

En 2013, Ipsos réalisait une vaste étude sur le sujet. On y apprenait que :

  • 96% des personnes interrogées estiment qu’elles doivent s’épiler au moins une partie de leur corps. Les aisselles (87% des Françaises) et les demi-jambes (81%) en particulier.
  • Le rasage / l’épilation est le principal soin du corps évoqué.
  • Juste avant un rendez-vous amoureux, les femmes s’inquiètent de leur épilation (63%) avant le maquillage (62%) et leurs cheveux (57%).
Épilation : principal soin du corps des Françaises

Et les hommes ? Bonne et mauvaise nouvelle, le mien est tristement dans la norme : 39% d’entre eux sont adeptes de l’épilation intégrale du maillot et 21% de l’épilation des aisselles (de leur partenaire, pas d’eux-mêmes, bien sûr…). 6%, seulement, ne militent pas pour l’épilation féminine.

“L’épilation intégrale, qui s’est imposée dans le cinéma porno, a dicté une norme du corps féminin désirable pour les hommes. »

Stéphane Rose, journaliste

Merci qui ? YouPorn et ses chaudasses miaulantes, imberbes à chaque recoin de leur corps. “L’épilation intégrale, qui s’est imposée dans le cinéma porno, a dicté une norme du corps féminin désirable pour les hommes. Cette norme-là, par effet de pression sur les femmes, a été intégrée par les femmes elles-mêmes” explique le journaliste pro-poils Stéphane Rose au Nouvel Obs.

Le marché de l’épilation se frotte les mains (je renonce à un jeu mots hasardeux…), arborant un chiffre d’affaires de 165 millions d’euros entre rasoirs, épilateurs, crèmes dépilatoires, esthéticiennes… Merci qui ? Merci nous. Mais pourquoi nous imposons-nous ces séances de dépoilage qui sont, au mieux, longues et laborieuses, au pire, douloureuses et chères ?

SALE, PARASITÉ, IMPUR, LAID…

La poil-phobie ne date pas de YouPorn. Nos arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-arrière-(…)-grands-mères, déjà, ne les estimaient guère.

Pour preuve, cette vénérable pince à épiler de 5 cm de long datant de l’Âge du Fer (dès 1100 av. J.-C.) et mise à jour sur la commune de Saint-Chels (Musée de Cahors Henri-Martin). Mais pourquoi donc cette obsession si précoce ?

Dès le 4e millénaire av. J.-C., en Mésopotamie, l’épilation est synonyme de pureté rituelle dans l’une des plus anciennes civilisations historiques connues. Madame sumérienne, mais aussi Monsieur, s’épilent. Le torse, le menton mais également la tête pour lui. Autour du 8e siècle av. J.-C., le rite épilatoire se perpétue chez les Hébreux, notamment pour prévenir et limiter la propagation des maladies vénériennes et autres parasites, poux, morpions et champignons. Vous avez dit beurk ?

« Et, lorsque Nana levait les bras, on apercevait, aux feux de la rampe, les poils d’or de ses aisselles. »

Emile Zola, Nana

Dans la Rome antique (dès 753 av. J.-C.), l’épilation devient rituel de beauté, féminine et masculine. Les femmes s’épilent jambes, aisselles et sexe, avec une préparation à base de poix, d’huile, de résine et de cire. On y ajoute parfois des substances caustiques, nocives pour la peau. Ne faut-il pas souffrir pour être belle… ? L’épilation semble avoir inventé cet adage. Ouïe ! L’extraction pileuse se poursuit avec ardeur au Moyen Age, devenant même un attribut « tendance » pour les vénérables dames de la cour.

Le 18e puis le 19e siècle marquent le retour du poil, loué par Émile Zola dans Nana en 1880 : « Et, lorsque Nana levait les bras, on apercevait, aux feux de la rampe, les poils d’or de ses aisselles. », puis par Joris Karl Huysmans vantant « l’odeur du gousset » (soit le creux de l’aisselle non-épilé) : « Diverse comme la couleur des cheveux, ondoyante comme les boucles qui la recèlent, l’odeur du gousset pourrait se diviser à l’infini ; nul arôme n’a plus de nuances, c’est une gamme parcourant tout le clavier de l’odorat, touchant aux entêtantes senteurs du seringat et du sureau… »

« Le sexe glabre devient la norme dès 2005, lorsque les Playmates de Playboy n’affichent plus le moindre poil pubien. »

Au tournant du 20ème siècle, l’éradication des poils chez la femme s’accélère au rythme de leur corps qui se dévoile. Dès 1920, le mouvement s’amorce aux États-Unis, lorsque une marque de rasoirs somme les femmes “d’enlever ces poils disgracieux”. Le phénomène gagne rapidement l’ensemble de la culture occidentale.

L’épilation s’exacerbe avec l’arrivée des maillots de bain. Aisselles, jambes et maillots se dé-poilent. Le ticket de métro devient la norme en 2000, rapidement supplanté par le sexe glabre, dès 2005 – date à laquelle les Playmates de Playboy n’affichent plus le moindre poil pubien.

UN COMEBACK 2.0

Mais le poil (de jambes, d’aisselles et de cul) n’a pas dit son dernier mot. Sur les réseaux sociaux, la résistance s’organise, galvanisée par les néo-pygmalions poils-friendly que sont Kate Moss, Madonna, Lady Gaga, Miley Cyrus et autres Cameron Diaz. Hashtagés #lesprincessesontdespoils #pithair #armpithair #bodyhairdontcare #bodyhair #nonalepilation, les poils s’affichent sans rougir sur Twitter, Instagram, Facebook. Naturels ou colorés pop.

BAD BUZZ

Sur les réseaux sociaux, l’enthousiasme anti-poils n’est pas toujours au rendez-vous, et la jeune blogueuse Laura en a fait la cruelle expérience en août dernier. Affichant ses aisselles non-épilées, un sourire désarmant aux lèvres, elle se prend en pleine gueule les commentaires insultants des autres internautes : « Quand tu dois passer un casting pour le rôle de chewbacca », « Va te raser », « T’es dégueulasse » et même… « Butez-la ! ».

Non, vous ne rêvez pas ; on suggère bien, ici, de buter une femme qui ne s’épile pas les aisselles…

Ces militantes du poil 2.0 se désignent comme des néo-féministes, dénonçant un asservissement aux diktats de la pornographie et de l’hygiénisme exacerbé, dans le trend de ce que l’anthropologue Christian Bromberger appelle le « depilotary age », obsédés que nous sommes par la propreté, le désodorisé, le net.

HASHTAG VELU

#lesprincessesontdespoils : c’est le hashtag lancé par une jeune illustratrice de 16 ans qui crée un e-tsunami après avoir posté cette jolie phrase “envoie-moi tes poils” en été dernier. Message reçu 5 sur 5 : aussitôt, des centaines de princesses plus ou moins poilues postent leurs photos d’aisselles et autres jambes duveteuses voire carrément velues, avec des commentaires qui en disent long sur l’oppression qu’elles éprouvent au quotidien : “Fais ce qui te plaît avec ton corps. Te préoccupe pas du regard des autres. Vis ta vie et vive les poils” , “Ce n’est que des poils hn. Ça fait partie de nous donc respectez ceux, celles qui veulent les garder”, “Pourquoi devrions-nous nous douiller à nous épiler alors que vous ressemblez a des Chewbacca”. À suivre sur son Twitter @adelelabo

LES POILS, ÇA SERT À QUOI ?

En fait, c’est carrément la première question que j’aurais dû me poser, non ? Comme tout a été bien pensé dans le corps humain, ils ont forcément une raison d’être là où ils sont. Mais laquelle ?

C’est le Dr Touron, dermatologue, qui en donne l’explication dans un article de l’Express Styles. Tout dépend de leur zone d’implantation. Sous les aisselles et autour des organes génitaux, ils ont pour utilité première de retenir les odeurs. Conclusion : plus la zone est velue, plus elle sent. Mon mec : 1 point. Mes poils : 0. MAIS : ailleurs sur le corps, les poils jouent un rôle thermorégulateur. En clair, ils tiennent au frais et au chaud. Et pour moi, frileuse de compétition, ça compte. 1 point partout.

ALORS, POIL OR NOT POIL ?

Quelle femme ne se rallierait pas illico aux arguments coups de poing des adeptes du poil ? Quelle femme accepterait de se soumettre volontairement à une dictature imposée par l’industrie du porno ? Mon problème, là tout de suite, c’est mon mec (« pas question ») mais aussi la société, car comme l’explique la blogueuse québécoise pro-poils Marie Turenne : “ce qui est difficile, c’est d’être minoritaires”. Alors, tant qu’on ne s’y met pas toutes (ou presque), j’opte pour garder mon mec.

Oui, j’abdique. Mais à une condition : 20% des hommes en France sont adeptes de l’épilation du maillot. Alors chouchou (diablement douillet) va y passer. Il sera peut-être un peu plus solidaire après ça ? Je vous raconterai…

Sources

POUR ALLER PLUS LOIN…

Histoire du Poil, Marie-France Auzepxy et Joël Cornette

Histoire du Poil
Marie-France Auzepxy et Joël Cornette

Biographie très documentée du poil dès le 7e millénaire av. J.-C., à travers ses diverses représentations, politiques, sociales, éthiques ou religieuses. On se promène de la France de Louis XIV et ses perruques à la Chine mandchoue et ses sujets nattés, jusqu’aux Poilus de la Première Guerre mondiale, aux eunuques byzantins ou aux « femmes à barbe » atteintes d’hypertrichose.

Les Poils : Histoires et bizarreries, Martin Monestier

Un ouvrage ludique et pratique dans les coulisses des poils. Saviez-vous qu’ils se développent différemment selon les parties du corps ? Qu’il existe plus de coiffeurs que de boulangeries dans la plupart des pays occidentaux ? En marge des normes esthétiques, l’auteur nous raconte aussi comment les poils « passent à table » et deviennent indics de police, désignant criminels, violeurs ou sportifs dopés. Passionnant !

Défense du poil, contre la dictature de l

C’est un « tsunami dépilatoire » qui est dénoncé ici. L’auteur, « amateur de sexes touffus et chantre de la diversité des corps » s’interroge sur la disparition des poils féminins et livre un vibrant plaidoyer pour la réimplantation des poils pubiens dans les petites culottes, égratignant au passage la pornographie, la presse féminine et l’hyper-hygiénisme ambiant.

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