Il était une fois…
La mode des années 1940
La mode des années 1940 s’ouvre sur la Seconde Guerre mondiale. Occupation, restriction, la haute couture risque la faillite tandis que, à l’ombre de leur foyer, les femmes réinventent une mode faite de bric et de broc, de bouts de ficelle et de pas mal d’ingéniosité. Peu après la libération, c’est la féminité qui est célébrée dans toute sa splendeur avec le New Look de Dior. La taille s’étrangle, les jupes s’évasent, les matières s’ennoblissent : c’est la fin de la restriction, de la peur, de la mort. La mode a, comme les Français, un besoin irrépressible de liberté.
Photos : 1. Londres, essayage de chapeaux dans un grand magasin,1942 / 2. Paris, 1945 / 3. Deux femmes à la Sorbonne, Paris, 1948. Dutch National Archives CC 1.0
1939
DÉBUT DE LA DEUXIÈME GUERRE
La décennie s’ouvre sur l’horreur de la Seconde guerre mondiale. Le vêtement devient alors un symbole de l’oppression allemande, obligeant , dès le mois de juin 1942, tous les Juifs de la zone occupée en France, âgés de 6 ans et plus, à arborer une étoile jaune.
Photos :
1. Juin 1942. Bundesarchiv, Bild 183-N0619-506 / CC-BY-SA 3.0
2. Paris, rue de Choiseul en septembre 1940. « Les Juifs ne sont pas admis ici ». Bundesarchiv, Bild 183-S59096 / CC-BY-SA 3.0
3. Adolf Hitler devant la Tour Eiffel le 23 juin 1940. Bundesarchiv, Bild 183-H28708 / CC-BY-SA
LA MODE RATIONNÉE
Dès 1941 sont émis des tickets de rationnement. Toutes les matières utiles à l’industrie de l’armement sont réquisitionnées. Ainsi, les textiles sont parmi les premiers produits limités. La mode est muselée, morte diront certains. C’était sans compter sur l’imagination des femmes qui recyclent des matières inédites et créent leurs propres vêtements à l’ombre de leur chaumière.
Les magazines, féminins en particulier, prodiguent des conseils aux ménagères pour continuer à s’habiller en contournant le système de rationnement. Ainsi lit-on dans Marie-Claire, Le Petit Écho de la Mode ou la Figaro des astuces pour confectionner des robes en raccommodant des pièces de tissus différents, pour recycler ses rideaux en vêtements et pour les faire durer le plus longtemps possible.
La soie, réquisitionnée pour la fabrication de parachutes, de cordes et de filets, rend les bas introuvables. Voilà sans doute l’accessoire qui manque le plus aux femmes des années 1940. Tellement que certaines se teignent les jambes avec du thé pour imiter la soie. Elisabeth Arden invente même une lotion colorante pour les jambes, qu’elle associe à un crayon noir permettant de dessiner une fausse couture à l’arrière du mollet. Le succès est immédiat et d’autres marques commencent à commercialiser ces « bas sans maille » ou « liquid hosiery » (bas liquides).
Photos : 1. Ces bas usés seront retraités et transformés en parachutes. / 2. Une femme enduite de « bas liquides » en 1941.
C’est l’heure de la mode du système D et de la récupération. On cherche au fond de son grenier un accessoire, un morceau de cuir ou de soie, de laine ou de dentelle. Les Puces s’arrachent, alternative à bas prix de vêtements de qualité.
UNE MODE
À L’IMAGE DES TEMPS
Photo : Vie quotidienne dans une rue de Paris, 1941. Bundesarchiv, Bild 101I-247-0775-38 / Langhaus / CC-BY-SA 3.0
Cette mode « DIY » est à l’image des temps rudes : fonctionnelle et habillée de couleurs sombres. Mais qui n’oublie de rester élégante, comme un pied de nez à l’occupant.
Les hanches se cintrent, les épaules gagnent en largeur et les jupes, restrictions de textiles obligent, raccourcissent au-dessous des genoux.
CES VÊTEMENTS ET ACCESSOIRES
ICONIQUES DES 1940’S
Photo : Les temps sont durs mais la Parisienne reste élégante. Gants, chapeau, veste cintrée et épaulée, jupe sous les genoux. Quai d’Orsay, août 1942. Bundesarchiv, Bild 183-H27235 / CC-BY-SA 3.0
LA VESTE À ÉPAULES CARRÉES
Inspirée du vestiaire masculin, elle remplace les longs manteaux. Sous sa carrure carrée, elle dessine à la femme des 40’s une allure puissante qui contrastera avec les épaules arrondies du New Look de Dior dès 1947.
LA JUPE CRAYON
Bye bye plis, volants et autres effets de style : robes et jupes adoptent une coupe droite, sans fioriture, pour économiser le tissu. Ce qui signe la naissance de la must-have jupe crayon.
LE SAC À BANDOULIÈRE
Plus pratique que le sac à main, la bandoulière fait également son apparition à ce moment là. Pourquoi ? Car plus pratique, en particulier pour circuler à bicyclette. Il est large et contient, parfois, un compartiment destiné au masque à gaz.
LES SEMELLES COMPENSÉES
Les semelles compensées deviennent les chaussures les plus courues du tout Paris. Restriction du cuir oblige (il est alors réservé à l’industrie militaire), elles sont en bois, lourdes et inconfortables. Elles inspireront à Maurice Chevalier, en 1942, la chanson « La symphonie des semelles de bois »
J’aime le tap, tap, tap des semelles en bois
Ça me rend gai, ça me rend tout je ne sais quoi
Lorsque j’entends ce rythme si bon
Dans mon cœur vient comme une chanson
Tap, tap, tap, c’est le refrain
De la rue pleine d’entrain
Tap, tap, tap, la symphonie
Des beaux jours moins vernis
On détourne également caoutchouc, vieux pneus, acier, paille tressée…
LE CHAPEAU, LE BIBI, LE TURBAN
Les accessoires deviennent le doudou-mode refuge, inspirant, en février 1942, cet extrait au magazine Marie-Claire, « Paris s’habille toujours ou plus exactement se coiffe toujours, car il semble que toutes les recherches de la mode de soient réfugiées dans les chapeaux« . C’est à ce moment que naît la prestigieuse Maison Michel et se couvrir la tête devient symbolique d’un acte de résistance à l’occupant.
Michèle Morgan
icône des années 1940
Celle qui se voit surnommer « Les plus beaux yeux du cinéma » le doit à son partenaire, Jean Gabin, qui lui susurre dans « Le Quai des Brumes » « T’as d’beaux yeux tu sais ». Oui, ils sont beaux et ne cesseront d’illuminer les plus grands films français des années 1930 aux années 1980.
Après une parenthèse aux États-Unis pendant la guerre, sa popularité explose en 1946 avec « La Symphonie pastorale » (1946) de Jean Delannoy qui lui vaudra le prix d’interprétation féminine remis lors du premier Festival de Cannes. Elle sera élue par les Français, à 10 reprises « actrice française la plus populaire ».
Photo : Avec Jean Gabin dans « Le Quai des Brumes », 1938
UNE MODE RÉGLEMENTÉE
La pénurie est telle que des lois régissant l’habillement et la fabrication des vêtements et des accessoires sont édictées : les robes et jupes évasées sont interdites, tout comme les pantalons avec revers et la longueur maximale des ourlets est limitée.
Les accessoires en cuir sont également réglementés. Interdiction de fabriquer de grands sacs ou des ceintures dépassant les 4 centimètres de largeur.
Les créateurs qui continuent à proposer leurs collections sont limités à la fabrication de 100 modèles, régis par une discipline économique stricte. On récupère ainsi le fil des anciennes collections pour composer les nouvelles. Plusieurs maisons, 85 en 1941, obtiennent des dérogations et bénéficient d’un supplément de matières premières contingentées. C’est sans doute ce qui explique que la haute couture française n’a pas totalement disparu à cette période.
LA HAUTE COUTURE
ET L’OCCUPANT
Sous l’occupation, plusieurs éminentes maison de couture de la capitale, Chanel, Vionnet ou Schiaparelli, ferment temporairement. Le couturier espagnol Cristóbal Balenciaga, réfugié à Paris, cesse ses créations. La maison de couture de Jacques Heim, créateur juif, est victime des lois d’aryanisation qui lui interdisent de faire du commerce (un administrateur aryen le remplacera).
Certains résistent à leur façon, telle Madame Grès qui décline, en 1942, sa première collection autour des couleur bleu, blanc, rouge, se procurant ses tissus au marché noir en signe d’insoumission aux restrictions imposées par l’occupant. Elle arbore un immense drapeau français aux fenêtres de sa maison de couture, jusqu’à ce que les Allemands la ferment en 1943.
A contrario, plusieurs créateurs s’accommodent aisément de l’occupation, en tirant même profit, tels Réveillon ou Toutmain qui fournissent l’armée allemande en gilets de fourrure.
D’autres, enfin, entretiendront des relations ambiguës avec l’ennemi. Ainsi, Coco Chanel, dont le rôle polémique n’a toujours pas été clairement établi.
Car, pour les acteurs du luxe, l’occupant allemand est un client au fort pouvoir d’achat. Le mark s’échange 20 francs alors qu’il n’en valait que 12. Le « made in Paris » haut de gamme est le summum de l’élégance et les soldats – et leurs épouses – dévalisent les boutiques chics de la rue Faubourg-Saint-Honoré ou avenue de l’Opéra. Permettant à nombre de maisons de conserver leur personnel et de survivre à la guerre.
À la libération, le milieu de la Haute couture est épargnée par l’épuration. Comment redresser la France en la privant du secteur de luxe le plus plébiscité par les riches étrangers, alors que dans le même temps la mode américaine prend son élan, innovant sur les matières, les coupes et le prêt-à-porter ? On ferme ainsi les yeux sur les arrangements et autres complaisances de certains créateurs, au nom de la croissance économique.
La polémique Chanel
Gabrielle Chanel a-t-elle été espionne pour l’ennemi durant l’Occupation ? Son comportement continue à faire polémique. Si elle n’a jamais caché sa relation avec un officier allemand, un livre (Dans le lit de l’ennemi. Coco Chanel sous l’Occupation, de Hal Vaughan), paru en 2012 après déclassification des archives françaises, anglaises, allemandes et américaines, la présente comme l’agent F-214 rattachée au service de renseignement de l’état-major allemand. Collaboration que la créatrice a toujours niée.
HISTOIRE DE CHANEL
Elle a révolutionné la mode avec son look androgyne, sa marinière, son tailleur en tweed. Retour sur l’histoire de la plus célèbre maison française de couture, son style, ses pièces emblématiques et ses accessoires intemporels.
1944
TOUTE LA FOLIE DE LA LIBÉRATION
En été 1944, lorsque les Alliés débarquent dans la capitale, la rue hurle, danse, s’embrase et s’embrasse. Bye bye rigueur martiale, bonjour effervescence, folie, couleurs. On veut s’amuser à en crever, sortir, danser et s’habiller. De matières nobles jusque là interdites, de mètres de tissus jusqu’à plus soif, de féminité exacerbée.
Les épaules se dévêtissent, les décolletés plongent tandis que les jupes s’allongent de quelques centimètres. Les soldats américains importent les chewing gums et une mode d’outre Atlantique affranchie des conventions poussiéreuses : bas nylon, cigarettes et jazz soufflent un air de liberté. Le temps est venu – enfin – de s’amuser.
L’heure est à la féminité, mais toute en élégance, telle que les Américains, époustouflés, le rapporteront de retour au pays et qui contribueront à construire le mythe de « la Parisienne ».
C’est aussi, c’est surtout, grâce à l’audace du maître Dior.
1947
LE NEW LOOK DE DIOR
La collection Corolle du tout jeune Christian Dior est incontestablement l’événement fashion le plus remarquable de la décennie. Une taille serrée à l’extrême qui exacerbe les formes ; la poitrine se dresse, les épaules s’arrondissent. Jamais la mode n’avait été aussi audacieuse, faisant dire à la directrice de Harper’s Bazaar Carmel Snow : « It’s a new look » ; Dior vient de réinventer la silhouette de la femme.
La France, à terre, n’en demandait pas tant et embrasse cette allure révolutionnaire, aussitôt suivie par toute l’Europe puis par l’Amérique. Christian Dior, inconnu jusque là, devient la nouvelle étoile montante du Paris redevenu capitale de la mode.